Kossi Aguessy, Artiste multiverse

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Copie d’écran du Teaser Infinity : Hommage à Kossi Aguessy

Existe-t-il des designers en Afrique ? Question qui pourrait paraître de prime abord saugrenue. Pourquoi n’y en aurait-il pas ? Mais alors pourquoi ne les connait-on pas, sauf les initié.e.s ?

C’est en me posant cette question que j’ai découvert Kossi Aguessy.  Designer certes mais pas que….

Je fus émerveillée en découvrant l’une de ses œuvres, le Siège Jord qui fait d’ailleurs partie de la collection permanente Design du Centre Pompidou.
Excitation, joie, fascination s’entrechoquèrent dans ma tête au fur et à mesure de mon immersion dans son univers créatif… pour laisser place à une profonde tristesse en apprenant que cet Artiste n’est plus.

Ce n’était pas seulement un Artiste. C’était un homme d’une grande sensibilité, passionné et d’une conscience immense du monde.

Il m’était inconcevable de ne pas lui rendre hommage. J’espère avoir perçu au mieux cette personnalité ô combien inspirante. J’espère en avoir fait un portrait fidèle.

Une vocation née dès le plus jeune âge

Kossigan Baaba-Thundé Aguessy est né le 17 avril 1977 à Lomé, la capitale du Togo, d’un père togolais et d’une mère brésilienne. Il n’y restera que 3 ans puisqu’il part vivre avec sa mère à New York.
Kossi Aguessy se passionne dès son plus jeune âge pour l’architecture, l’univers futuriste et l’archéologie. Enfant déjà, il construisait de ses propres mains des pyramides d’Égypte ou imaginait encore de nouvelles formes de mobilier.
Inscrit au lycée français de New York, Kossi Aguessy – haut potentiel – obtient son bac à 13 ans. Pour le féliciter, sa mère lui offre des vacances à Londres. Il y découvre le Central Saint Martins College of Art and Design. C’est décidé, c’est ici qu’il veut faire de son rêve une réalité : devenir designer et ce, au grand dam de sa mère qui souhaite qu’il fasse des études scientifiques.
Réussissant le concours d’entrée et obtenant une bourse, Kossi Aguessy s’y révèle : « Pour la première fois de ma vie, je n’étais plus une bête à concours. Mes condisciples me ressemblaient. À Saint Martins, on m’a dit : “Tu es là pour apprendre à contrôler ce que tu es et non pour apprendre qui tu es, car ça, tu le sais déjà.” »

Il y étudie le Design Industriel et l’Architecture Intérieure. Alors qu’il était encore étudiant, il réussit un concours organisé par le Central Saint Martins College of Art and Design et dessine le flacon du parfum Stella, de la styliste Stella McCartney.

Une fois diplômé d’un Bachelor in Arts, Kossi Aguessy s’installe à Paris après un séjour au Brésil. Il travaille ainsi pour Philippe Stark et travaille pour les plus grandes marques : Yves Saint Laurent, Swarovski, Cartier, …
Indépendant depuis 2004, il crée son agence éponyme en 2008, année de la consécration. En effet, il présente cette année durant l’exposition Please do not sit à Paris, la Useless Tool, « un fauteuil en forme de gratte-ciel, en aluminium et fibre de carbone recouverts de Nextel, un matériau antiradar utilisé dans l’aéronautique ».
Depuis, les succès se sont enchaînés. Outre-Atlantique, le Museum of Arts and Design (New York) salue son talent dans le cadre du Global Africa Project. En 2011, son travail intègre les collections permanentes de ce musée new-yorkais ainsi que celles du MoMA. Son talent est aussi reconnu en France notamment grâce au Centre Pompidou dans le cadre de l’exposition Multiversités créatives. Les œuvres de cet Artiste – sculpteur, peintre, designer – rejoignent également les collections permanentes du Centre Pompidou en 2013. De 2015 à 2017, l’exposition itinérante Making Africa le fait connaître d’abord en Allemagne grâce au Vitra Design Museum, puis au musée Guggenheim de Bilbao, au Centro de Cultura Contemporània de Barcelona et enfin au Kunsthal Museum de Rotterdam. Making Africa fut sa dernière exposition.

 Kossi Aguessy meurt en avril 2017 à Toulouse à tout juste 40 ans.

Les sources d’inspiration de Kossi Aguessy

Kossi Aguessy était un homme qui aimait profondément la Nature dans toute son acception et par extension du Vivant. Il était ainsi fasciné par l’Humanité et ses millions d’années d’évolution, d’où sa passion pour l’archéologie. Il était émerveillé par les cultures et les civilisations antiques : les Empires Ming, Perse, Romain ou encore les civilisations grecque, yoruba ou zoulou en Afrique. En ce sens, comprendre ce que l’humanité a créé à travers les âges nourrissait son inspiration.

Mais n’allez pas croire que son inspiration n’était ancrée que dans le passé. Sa compréhension du passé lui permettait de mieux cerner l’humain d’aujourd’hui et d’inventer celui de demain.
Il souhaitait ainsi témoigner de toutes nos contradictions : simplicité vs complexité, naturel vs sophistication, bonté vs cruauté. Cette Nature, ce Vivant lui étaient perceptibles quand il voyait un nouveau-né, une belle femme, un homme magnifique, quand il se promenait dans les rues où il entendait encore les bruits des calèches qui battait les pavés parisiens …
Il souhaitait pouvoir construire, créer des objets en harmonie avec la nature, sans la renier car pour lui, « nous sommes le passé, nous sommes l’avenir, nous sommes la nature » ou du moins une partie de celle-ci.

Il souhaitait faire le lien entre le passé et les nouvelles technologies en s’inspirant de la nature, abolir les frontières entre les disciplines que ce soit l’art, l’ingénierie et l’industrie, le design, …
Ce positionnement s’explique sans doute par sa grande curiosité et par sa quête de justice, d’équilibre et de simplicité qui se reflètent dans chacune de ses œuvres.
Ces créations sont donc la résultante de son imagination foisonnante. Il avait une vision très précise voire magique de ses futures créations. Toute la difficulté pour lui était de donner vie aux images qu’il avait en tête. Nul doute que cela nécessitait une réelle technicité comme le souligne Haude Bernabé dans son Hommage à Kossi Aguessy : « D’un point de vue formel, il y a dans ses pièces en volume une recherche de l’épure, les lignes en sont tendues, les courbes nettes. Une alliance de grâce et de pureté. Je garde en souvenir ces moments dans l’atelier où  travaillant sur la série des « Goldratt Theory of Constraints » son exigence le poussait toujours à aller plus loin, à enlever encore de la matière pour que la main glissant sur une courbe ne soit jamais arrêtée par une aspérité. »

Il avait également un profond respect pour Léonard de Vinci qui était à ses yeux le plus grand designer et artiste. Est-ce si étonnant ?
“Apprenez de la nature, vous y trouverez votre futur” disait déjà Léonard de Vinci il y a plus de 500 ans.

Kossi Aguessy, un homme de conviction

Terrien, profondément humaniste, toute son œuvre participe d’une volonté de nous offrir une vision « afro-futuriste ». Et c’est en cela que Kossi Aguessy était singulier.

Pourquoi dans la pensée collective, les œuvres et objets usuels africains ne sont que des reliques antiques tels ces masques sacrés exposés dans les musées ? Pourquoi cette vision passéiste de ce continent, de ces civilisations forcées de décliner, d’oublier ce qu’elles étaient et qui elles étaient face à la suprématie des cultures occidentales ?
Il en est arrivé à la conclusion d’un héritage enfermé dans le passé qui ne pouvait être « futuriste » car… le continent africain ne fait tout simplement pas partie du présent de la scène internationale.

Cette absence, Kossi Aguessy a souhaité la combler en menant un travail d’anticipation à travers le projet «Newbia-Anticipation». Cette expérience de conception visait ainsi à répondre à la problématique suivante : quelle serait l’afro-esthétique d’aujourd’hui si le développement de l’art et du design n’avait pas été interrompu par la colonisation ?
Il ne niait pas en effet l’existence d’une esthétique africaine mais selon lui, elle n’était en réalité qu’emprunts, imitations et adaptations des références et modèles occidentaux.

En ce sens, faire ce travail d’anticipation n’était pas une passion mais relevait d’une nécessité.

Les masques iconiques Zoo et Loo en furent notamment la résultante.

Réduire Kossi Aguessy à un designer afro-centré serait néanmoins très réducteur à double titre. Kossi Aguessy était un être humain, designer ET Artiste « qui se trouve être africain ». Il revendiquait son universalisme et se définissait comme « le produit d’un melting pot qui traverse les continents et les époques ». En effet, « Les grands artistes n’ont pas de patrie » disait-il en citant Alfred de Musset.

C’était un grand Artiste qui osait briser les règles afin de créer de la beauté et du sens. C’était un grand Artiste qui s’évertuait à rendre possible l’impossible. C’était un grand Artiste empreint de modestie, d’une sensibilité à fleur de peau et d’une intégrité rare.

Les propos inspirants de Kossi Aguessy

Parmi toutes les lectures qui m’ont permis de dresser le portrait de Kossi Aguessy, je retiendrai quelques-uns de ses propos qui m’ont particulièrement touchée.

En novembre 2015, Kossi Aguessy accorde une de ses rares interviews en français à Little Africa – agence culturelle et touristique qui promeut la culture africaine, « Kossi Aguessy, un Magicien du design ».
Et à la question « Si je te dis Little Africa, tu penses à ? », que répond-il ?

Little Is The Anti-Thesis of Africa | Petit est l’Antithèse de l’Afrique

Oui, l’Afrique est un grand et beau continent. Le berceau de notre humanité et mérite notre respect.

Protesting is fine, but doing is even better | Protester c’est bien, mais faire c’est encore mieux

Est aussi le titre de l’article de Jon Daniel consacré à Kossi Aguessy dans le magazine en ligne Design Week.
Oui, « Faire c’est encore mieux » car cela permet de montrer que c’est possible de bousculer les préjugés. C’est possible d’avoir une légitimité malgré les embûches. C’est possible de vivre de sa passion. C’est possible d’aller à l’encontre d’un destin soi-disant tracé selon les stéréotypes d’une époque. Il faut de l’audace et de la foi, comme l’avait indubitablement Kossi Aguessy.

Enfin, que dire de ce « poème philosophique » mentionné dans l’article du magazine d’Art Africain Art Africa, « Celebrating the work of designer Kossi Aguessy » ?

“Together we FLOURISH | Ensemble, nous nous ÉPANOUISSONS

Together we PERISH… | Ensemble, nous PÉRISSONS…

We should keep this in mind. | Nous devons garder cela à l’esprit.

We are together and we are one. | Nous sommes ensemble et nous ne faisons qu’un.

To the supremacists, the silent ones, | Aux suprémacistes, aux silencieux,

those obsessed with taking over their neighbours, | ceux qui sont obsédés par la prise de contrôle de leurs voisins,

the paternalistic ones, the self over-ranked and over-valued: | les paternalistes, ceux qui ont un moi surestimé et surévalué :

no culture is meant to crush others and grow forever. | aucune culture n’est destinée à écraser les autres et à se développer éternellement.

All lives matter, every culture is valuable, | Toutes les vies comptent, chaque culture est précieuse,

and shall nurture the common wealth. | et nourrira la richesse commune.

We’ve learnt this simple lesson from the past: | Nous avons appris cette simple leçon du passé :

« We shall flourish together or perish together. » | « Nous nous épanouirons ensemble ou périrons ensemble. »

No other sustainable options are left. | Il ne reste aucune autre option durable.”

 – Kossi Aguessy

Que peut-on ajouter à ces propos d’une implacable lucidité ? Rien. Tout est dit.

Et pour finir, quelques vidéos sur Kossi Aguessy

Teaser INFINITY – The Kossi Aguessy Tribute Project

Infinity : Hommage à Kossi Aguessy est une exposition qui se déroule au Palais de Lomé (Togo). Outre les œuvres présentées dans cette exposition, les visiteurs chanceux peuvent découvrir un film permettant notamment de découvrir « la personnalité hors normes » de Kossy Aguessy. En voici le teaser.

Le métier de Designer vu par Kossi Aguessy

Dans cette vidéo réalisée en 2012 par Pauline de Chassey – Auteure-Réalisatrice / Executive Producer, Kossi Aguessy explique sa vision du métier de Designer.